IBERICA TRAVERSA
- Philippe Puechberty
- 3 mai
- 43 min de lecture
Retrouvez mon aventure de J-1, Irun, Espagne à J31, à mon arrivée à Lisbone, Portugal, une intégrale au fil des kilomètres.
L'aventure à télécharger

À JEAN FRANCOIS FERRERI … Hier, le 2 mai 2025, un ami s’en est allé. Un frère d’armes, un pompier de Paris d’exception, un gymnaste de la Spéciale, DJ à ses heures, et surtout… Jef, “P’tit Bout”, un sourire en permanence accroché au visage, le gars qui s’amuse, qui t’amuse, qui donne sans compter.
Plusieurs fois, il m’avait écrit : “Alors, quand est-ce que tu viens rouler en Corse ?” On repousse toujours… On croit qu’on a le temps. Mais certaines choses n’attendent pas. J’ai bouclé mon livre sans savoir qu’il partirait. Aujourd’hui, je lui dédie cette dernière aventure. Elle prend un tout autre sens, quand on réalise à quel point cette foutue vie peut être courte, injuste, mais aussi précieuse.
On se retrouvera ailleurs, mon pote.
À mes amis de la 5eme Cie et de Dauphine avec qui nous avons partagé tellement de souvenirs.
De par le temps que l'on a effectué au sein de la BSPP, du métier de pompier où l'on a un rapport avec la vie et la mort, dans nos interventions à sauver des vies ou pas ... on se blinde, mais lorsque cela touche une personne que l'on a en estime ... c'est un choc ...
Repose en paix Jean François ...
J-10 - Mon prochain projet de bikepacking :
Traverser l’Espagne en VTT, sur le parcours de l’Iberica Traversa, de Irun à Lisbonne, via Pampelune, Grenade, Tarifa, Séville, Sagres. Ce trajet, qui s’étend sur près de 3000 kilomètres et 42000+, m’emmènera à travers une variété de paysages, en empruntant des chemins et des pistes qui traversent des déserts impressionnants comme ceux de Bardenas Reales, les montagnes arides des Montañas Vacías, et les paysages spectaculaires de Gorafe. L'aventure se poursuivra jusqu’à Tarifa, avant de se terminer à Lisbonne, en passant par Séville et Sagres, en longeant la côte atlantique.
C'est bien plus qu'une simple aventure sportive : c'est une quête physique, mentale et spirituelle. Se découvrir (ou se redécouvrir, car ce n’est pas mon premier voyage de ce type) au cœur d’un périple en autonomie totale à vélo, où chaque coup de pédale nous rapproche d’une version plus profonde de nous-mêmes. Mais c'est aussi l’opportunité de partir à la découverte de régions et de contrées souvent inconnues, de paysages qui me sont partiellement étrangers et qui ne demandent qu’à être explorés.
Cela représente quatre mois de travail intensif en cartographie : analyser les meilleures traces, repérer les points d'eau, les abris, les refuges, mais aussi recueillir les récits d'autres voyageurs, leurs expériences et leurs conseils. Chaque détail compte. La préparation matérielle, de l’équipement au vélo lui-même, est essentielle. Choisir entre un vélo de gravel ou un VTT, déterminer le matériel nécessaire, le type de sacoches, les équipements divers… Que prendre, que laisser de côté ? Il faut anticiper la météo, les passages en altitude, les bivouacs en pleine nature ou dans le désert, les possibilités de ravitaillement… Bref, il s’agit de prévoir l’inconnu, d’essayer de dompter l’imprévisible.
Une fois le projet posé, la forme d’excitation qui s’en dégage prend toute la place. Mon esprit devient focus, prêt à affronter les défis qui se présenteront. Bien que ce ne soit pas une course, la préparation physique reste primordiale. Malheureusement, en mi-décembre, un accident de ski a freiné mes ardeurs : percuté par un snowboarder, j’ai dû faire face à des fractures au nez et aux côtes, ainsi qu'à une luxation de l’épaule. Un coup d’arrêt brutal, une période de convalescence forcée. Mais il faut rester motivé, ne rien reporter. Une mésaventure similaire m'était arrivée deux ans plus tôt lors de ma Scandibérique, et je savais que la reprise faisait partie du jeu.
Retour à la salle, une reprise progressive du travail physique : gainage, préparation spécifique… et le home trainer est devenu mon principal allié. Les conditions météo et les routes glacées du Morvan ne me permettaient pas de sortir en extérieur, peur de chuter, de faire un faux mouvement, mais l’entraînement en intérieur et la kiné m’ont permis de garder la forme.
Il est crucial de ne pas trop en faire, de trouver le juste équilibre, pour conserver cette envie et cette passion qui nous poussent à aller toujours plus loin.
L’empreinte carbone est l’un des enjeux majeurs de ce type d’expérience. En ce sens, le transport est un aspect clé de ma démarche. Pour me rendre à Irun et pour le retour depuis Lisbonne, je privilégierai le bus, afin de limiter l’impact environnemental du trajet.
Quant à l’aventure elle-même, mon objectif est de ne laisser aucune trace de mon passage. Le respect de la nature et de l’environnement est essentiel, et il est primordial de préserver ces paysages tout en vivant pleinement l'expérience.
L'empreinte humaine est également importante. Bien qu'il s'agisse d'un voyage solitaire, l'idée est d'engager des échanges, aussi brefs soient-ils. Chaque rencontre, chaque moment partagé, fait partie intégrante du voyage et enrichit l’expérience.
Enfin, le partage de cette aventure n’a rien de narcissique. Il s'agit plutôt de transmettre cette envie de partir, une invitation, une incitation, et de se créer à son tour son propre voyage. Peu importe que l’aventure soit d’une moindre envergure ou qu’elle ne dure qu'une ou deux journées : l’essentiel est de s’enrichir de cette expérience et de la partager.
Pour suivre l’aventure, je vous donne rendez-vous sur Instagram et Facebook, il y aura bien sûr un relais sur Linkedin … les posts risquent d’être publiés en fonction des possibilités de communication et pas forcément au jour le jour, beaucoup de zones traversées n’étant pas couvertes.
Iberica Traversa J-1 : Arrivé à Irun peu avant l’aube après une nuit inconfortable et agitée. Les portes hydropneumatiques du bus restent bloquées en position ouverte, le temps de la réparation…
Déposé à Hendaye, non pas dans une gare routière, mais à un simple arrêt de bus en pleine nature, enfin presque, sous la pluie et le vent. Dans l’obscurité, je déballe mon vélo, le monte pièce par pièce et fixe les sacoches.
Enfin prêt, je rejoins mon hôtel pour quelques heures de repos avant le véritable départ.
Irun ville du nord de l’Espagne, située dans la communauté autonome du Pays basque, elle marque la frontière avec la France. Elle se trouve juste en face de Hendaye, de l’autre côté de la rivière. Irun est un point de passage clé entre la France et l’Espagne.
Iberica Traversa J1 - Irun ~ Pampelune
Du pays Basque à la Navarre
Départ d’Irun, en longeant la Bidassoa, par une belle voie verte, au programme une étape d’une 100aine de km pour 1400+, tout le long l’architecture typique des maisons du pays basque qui marque une certaine richesse de la région …
Je quitte la Bidassoa pour remonter sur le joli village de Donamaria, je n’ai toujours pas trouvé de ravitaillement, le mercado est fermé …
À la sortie du village je sors à nouveau de la route pour un col de 9km à 12% avec des passages à plus de 18 … les paysages sont magnifiques, j’aperçois quelques sommets pyrénéens encore enneigés. Arrivée sur Pampelune, capitale de la Navarre, elle est surtout connue pour les fêtes de San Fermín, avec ses célèbres encierros (courses de taureaux) qui attirent des milliers de visiteurs chaque année. Ville historique, elle possède une vieille ville charmante, des remparts bien conservés et une cathédrale imposante. Pampelune est aussi une étape importante du chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle.
Demain direction Carcastillo 😅
Iberica Traversa J2 Pampelune ~ Carcastillo
Aujourd’hui, départ sous un ciel voilé, le soleil peinant à percer, et une température qui impose le port de la Goretex. Les premiers 25 km ne sont pas des plus excitants : la sortie de Pampelune s’éternise avant de laisser place à une alternance de bitume et de pistes à travers champs.
Une pause bienvenue à Monreal pour savourer un café précieux ☕️.
Au kilomètre 30, la première vraie difficulté de la journée se présente : un col de 6 km à 13 % de moyenne. Rien d’inhabituel, si ce n’est que la montée devient de plus en plus compliquée à mesure que la piste forestière se transforme en un véritable bourbier. La glaise collante, conséquence des pluies du début de semaine, rend l’ascension impossible à vélo et laborieuse à pied. Ce passage me rappelle une mésaventure conséquente sur 4 Islands en Croatie (#sandrine mon équipière 😢)
Une fois au sommet, changement de décor : je bascule sur une vallée aux pistes sèches, un paradoxe après la montée infernale.
La seconde difficulté m’emmène sur une crête où trône un champ d’éoliennes, un paysage assez typique en Espagne. Dommage que le soleil ne soit pas au rendez-vous, car les panoramas offerts sont magnifiques. À plusieurs reprises, j’aperçois au loin les massifs pyrénéens enneigés. Puis le magnifique village perché de Ujué et sa magnifique église fortifiée.
S’ensuit une belle descente d’une vingtaine de kilomètres jusqu’à Carcastillo. J’en profite pour faire un ravitaillement en vivres avant de penser à mon bivouac. Première nuit en extérieur : je poursuis encore quelques kilomètres sur la trace du lendemain pour dénicher un endroit convenable où monter la tente avant que la nuit ne tombe.
Demain, cap sur le désert des Bardenas Reales, en espérant que le soleil soit enfin au rendez-vous.
Le moral est bon, et le timing respecté.
Iberica Traversa J3 ~ Bardenas Real
Aujourd’hui, une étape reine, non pas tant par la distance ou la difficulté – quoique… 83 km et 850 m de dénivelé positif – mais surtout par la beauté des paysages. Une traversée exceptionnelle du plus grand désert d’Europe occidentale : 41 000 hectares d’immensité.
Après une nuit fraîche et une gelée matinale, je prends mon temps pour repartir, mon équipement ayant absorbé l’humidité nocturne.
Au passage d’El Paso, l’ambiance est digne d’un western. Une imposante statue du Pastor Bardenero marque l’une des portes d’entrée du désert. Rapidement, le paysage change du tout au tout par rapport à la veille : terre aride, formations géologiques sculptées par les éléments, petits canyons creusés par l’érosion… et ces couleurs incroyables, même si le soleil reste voilé.
Quelques kilomètres plus loin, je tombe sur Castildetierra, une majestueuse demoiselle coiffée, site emblématique du parc naturel. Le décor est si saisissant que, l’espace d’un instant, j’ai cru apercevoir Clint Eastwood et Kirk Douglas… Peut-être quelques hallucinations, ou simplement des souvenirs d’enfance qui refont surface.
Le parcours, bien que relativement roulant, s’avère éprouvant. Les alluvions réservent de nombreux pièges, et malgré l’émerveillement constant, je dois rester concentré sur mon pilotage. Un désert reste un désert, même à cette période de l’année, et au km 65, mes réserves d’eau sont épuisées. Aucun point de ravitaillement en vue avant la fin de l’étape.
L’arrivée est grandiose : un haut plateau surplombant une vallée verdoyante où serpente le Rio Ebro. Je termine ma journée à Cortes. Et, coup de chance ! En discutant dans une épicerie pour trouver un endroit où dormir, Mitxel me propose la chambre de son fils. Une nuit confortable en perspective.
Iberica Traversa J4 ~ Cortes ~ Borja
Le piège
Les journées se suivent mais ne se ressemblent pas…
Et comme m’a dit Laurent, promenade en Glaise en Espagne 😂
L’étape du jour devait me mener à Gotor, soit 70 km au programme. Départ sous le vent et la pluie, rien d’inhabituel, cela fait partie du jeu. Mais ce que les cartes ne disent pas, c’est l’état du terrain. Après 12 km, la progression devient de plus en plus difficile : la piste, gorgée d’une terre collante, s’accroche aux roues jusqu’à les bloquer complètement. Je dégage le surplus, repars tant bien que mal sur 2 km, mais bientôt, avancer devient impossible, même à pied…
Borja n’est qu’à 6 km. Plutôt que de m’entêter, je décide de faire demi-tour pour trouver une alternative. Un rapide point sur la carte me permet de rejoindre une route et enfin Borja. Au final, j’aurai parcouru plus de 30 km au lieu des 20 qui séparent les deux villes.
L’épisode m’a vidé physiquement : trop concentré sur l’effort, j’ai négligé mon alimentation. Mon vélo a souffert aussi, en particulier la transmission. Une pause s’impose pour l’entretien et les réparations. Demain est un autre jour.
Quant à la météo, elle annonce encore de la pluie, voire de la neige… L’option route devient sérieusement à considérer.
Iberica Traversa J5 Borja ~ Calatayud
Un appel d’Alain avant mon départ, il prend la température 😋… Échange et partage, ça fait toujours du bien, surtout venant d’un expert.
Je tiens aussi à vous remercier pour tous vos petits messages, aussi courts soient-ils, ainsi que pour vos likes… 🤩
Les chiffres du jour : 85 km, 1 217 m de dénivelé positif, entre 3 et 6°C, et un mélange de pluie et de neige.
Aujourd’hui, l’objectif est de rattraper quelques kilomètres et un peu du temps perdu hier. Départ de Borja sous une pluie fine, à peine perceptible. Mais après quelques kilomètres, vers 600 m d’altitude, la neige s’invite… Je m’équipe plus chaudement pour la descente et là, comme à l’habitude il faut que je perde quelque chose, mes gants d’hiver sont restés sur le radiateur chez mon hôte. La loose.
Le plafond nuageux est bas, les sommets se confondent dans la brume. Dommage, car les paysages se diversifient : champs d’amandiers, d’oliviers et de vignes se succèdent. Après le premier col, la végétation change radicalement et laisse place à des reliefs plus arides. Les derniers kilomètres m’offrent un passage spectaculaire dans une gorge où la montagne semble écorchée vive…
Malgré ce décor grandiose, je traverse plusieurs villages en ruines ou désertés, témoins silencieux du dépeuplement de cette région d’Espagne.
Après la neige, la pluie ne me quitte plus jusqu’à mon arrivée à Calatayud. Reste à trouver un toit, une mission compliquée avec des doigts humides et un écran tactile capricieux…
Finalement, une chambre chez l’habitant fera l’affaire, tout comme un restaurant pour mon premier vrai repas depuis cinq jours.
Pour la suite, les prévisions ne s’annoncent pas plus clémentes…
Iberica Traversa J6 Calatayud ~ Nuevalos
Entre météo et mécanique
L’Espagne traverse un épisode climatique délicat : pluies diluviennes, inondations, chutes de neige… L’ensemble du pays est touché.
Je pars ce matin confiant, avec pour objectif de rejoindre Molina de Aragón après environ 80 km. Mais très vite, le déluge complique ma progression. Au kilomètre 20, une branche vient se loger dans mon dérailleur : chape tordue. Malgré tout, j’avance tant bien que mal et parviens à rallier Nuévalos.
Trempé jusqu’aux os, transi de froid avec une température ressentie négative, il devient impératif de trouver un toit pour la nuit, de me réchauffer et de réparer le vélo. Par chance, je déniche une pension – elles semblent nombreuses en Espagne, bien plus abordables que les hôtels et offrant un confort suffisant pour l’itinérance.
Ensuite, coup de chance : un garagiste accepte de me prêter son atelier. Deux heures de réparation plus tard, mon vélo est prêt à repartir.
Depuis deux jours, le doute me ronge quant à la suite de l’itinéraire, principalement à cause des conditions météorologiques qui, a priori, ne s’amélioreront pas de la semaine. Dois-je maintenir la boucle des Montañas Vacías, avec des passages en altitude flirtant avec les 2 000 mètres ? J’appelle mon copain Biscotte, qui a parcouru cette section l’an dernier, pour recueillir son avis.
Après réflexion et une réunion improvisée avec mon staff technique – des gnomes tous aussi incompétents les uns que les autres – je tranche. Ne pouvant compter sur leur jugement, je décide de jouer la prudence : exit les Montagnes Vides. Je couperai directement de Molina de Aragón vers Cuenca.
L’aventure continue.
Iberica Traversa J7 Nuevalos ~ Molina de Aragon
Déjà sept jours depuis mon départ d’Irun : 453 km parcourus, 6 637 mètres gravis et une infinité de paysages traversés.
Chaque jour, je savoure ce que le voyage m’offre, mais je dois parfois renoncer à capturer certaines scènes, sans quoi je n’avancerais plus, tant l’envie de m’arrêter pour une photo est grande. Voyager à vélo permet d’apprécier chaque détail, surtout dans ces montées interminables où le paysage se dévoile lentement.
Aujourd’hui, j’ai quitté Nuevalos pour rejoindre Molina de Aragón. Je n’avais vu aucune image de cette ville, mais son nom seul évoquait déjà un lieu chargé d’histoire. Après quelques kilomètres, le monastère de Piedra surgit de nulle part, ceinturé d’un côté par une longue enceinte et suspendu de l’autre au bord d’un profond canyon. Je poursuis mon ascension : aujourd’hui, ça grimpe. La route s’enfonce dans une gorge, frontière naturelle entre l’Aragon et la Castille-La Manche, province de Guadalajara. L’ascension se prolonge jusqu’à un plateau à plus de 1 200 mètres d’altitude, un immense no man’s land où il n’y a rien. Rien, sinon des pistes détrempées qui continuent de grimper…
Puis, enfin, les cinq derniers kilomètres m’entraînent dans une descente vertigineuse vers Molina de Aragón. La silhouette imposante de sa forteresse domine la ville, résonnant avec mes pensées. Un dessert après un parcours éprouvant, marqué par toutes les conditions possibles : averses soutenues, grêle par endroits, vent de face ou de trois quarts, et, par intermittence, quelques rayons de soleil comme une promesse.
Demain, cap sur Cuenca, environ 150 km plus au sud. Probablement une halte à mi-chemin, car, encore une fois, l’étape se déroulera au milieu de nulle part.
Iberica traversa J8 Molina de Aragon ~ Alto Tajo
Je quitte Molina de Aragón, laissant derrière moi son imposante forteresse, vestige majestueux de l’époque mauresque.
Un vent froid souffle en rafales, annonçant une étape éprouvante, d’autant plus que la pluie est attendue dans la journée. Aujourd’hui, je prends la direction du Parc naturel de l’Alto Tajo. Après avoir traversé deux vallées, j’atteins l’une des portes du parc, marquée par un défilé spectaculaire où le Río Gallo s’engouffre entre deux gorges. Cette fracture terrestre est saisissante : des falaises abruptes et des masses rocheuses en suspension, teintées d’un rouge profond, composent un paysage d’une beauté brute. Les stigmates de crues violentes témoignent de la puissance des eaux.
Le canyon s’étire sur une quinzaine de kilomètres avant que le Río Gallo ne rejoigne le Tage, qui n’est ici encore qu’une modeste rivière. Je me trouve à environ 900 mètres d’altitude avant d’entamer une ascension vers les hauteurs du parc et un vaste plateau culminant à 1 350 mètres. Ce dernier, recouvert de forêts de résineux aux essences variées, évoque les paysages de Laponie.
Je traverse deux petits villages, mais les bars et épiceries sont clos, et pas une âme ne semble y habiter. Puis, après une dizaine de kilomètres, une longue descente me mène en direction de Priego. Trois kilomètres avant le village, après 91 kilomètres parcourus, je découvre une source et un emplacement parfait pour planter ma tente : une pinède offrant un abri naturel et un sol souple d’épines de pin, préservé de l’humidité.
J’ai de quoi me ravitailler et passer une bonne nuit.
Demain, cap sur Cuenca.
Iberica Traversa J9 Priego ~ Cuenca
Réveil sous une pluie battante. Heureusement, la pinède m’a offert un abri relatif contre les averses et les orages de la nuit. Le martèlement des gouttes sur la toile de tente m’a finalement bercé plus qu’il ne m’a dérangé. Au matin, je plie mon campement aussi vite que possible, mais tout est détrempé : il faudra faire sécher plus tard.
Mon équipe d’assistants ne manque pas de se moquer de moi.
Le temps ne se prête pas à un petit-déjeuner sur place ; je décide donc d’attendre Priego, la première ville sur mon parcours, à neuf kilomètres de là. J’entre dans le premier bar venu. « Une Mahou ou un grand café ? » Ce sera un grand café. Devant ma tasse fumante, je jette un œil aux informations diffusées à la télévision. Les images parlent d’elles-mêmes : toute l’Espagne subit de violentes intempéries, et l’Andalousie semble particulièrement touchée. Pour le reste du petit-déjeuner, direction la boulangerie d’en face… en faim.
La journée commence réellement ici : Cuenca est à 56 kilomètres. Le vent de face et la pluie ne me quitteront pas du trajet. Peu de paysages marquants aujourd’hui, juste des terres agricoles monotones, qui peinent à rivaliser avec les panoramas des jours précédents.
Côté espagnol, mon vocabulaire s’étoffe. Parfois avec des mots dont je ne verrai sans doute jamais l’utilité.
Demain, je poursuis ma descente vers le sud de la péninsule ibérique, en espérant une accalmie.
Iberica Traversa J10 - Cuenca ~ Olmedilla de Alarcon
Journée au sec, mais les cheveux dans le vent.
Départ matinal de Cuenca, les prévisions annonçant de violents orages en fin d’après-midi. J’ai donc décidé de prendre les devants.
La sortie de la ville s’éternise. Elle est plus étendue que je ne l’avais imaginé en arrivant la veille. Perchée à près de 950 mètres d’altitude, Cuenca est une cité d’importance, dont l’histoire et la topographie marquent encore mon itinéraire.
Don Quichotte m’accompagnera quelque temps.
Dès la sortie, la route s’élève de nouveau, enchaînant les montées jusqu’à un vaste plateau dépassant les 1100 mètres.
Quelques pistes empruntées me repoussent vers le bitume, tant elles restent limite à rouler.
Les paysages alternent entre Toscane et Colorado. Pendant une dizaine de kilomètres, je roule au fond d’un canyon, sculpté par le temps, avant de retrouver, à sa sortie, des airs de campagne italienne, avec vignes et champs d’oliviers.
La fin du parcours est vallonnée, sans grandes difficultés. Mais le vent sape peu à peu mon énergie. Après soixante kilomètres, une casa rural providentielle apparaît, juste au moment où le ciel s’assombrit et que quelques gouttes annoncent l’orage imminent.
Mon corps réclame du repos. Quelques vieilles douleurs viennent réveiller ma carcasse fatiguée.
Iberica Traversa J11 - Olmedilla de Alarcon ~ La Roda
Avant de vous parler de ma journée, retour sur une soirée… mémorable.
Mon hôte, Diego, m’a immédiatement rappelé mon défunt Roland. Une personnalité chaleureuse, maire du village et bon vivant, il m’a invité à dîner avant de me raconter sa vie ici. Un poquito español, un poquito inglés… Nous échangeons comme nous pouvons, aidés par la Mahou, et la soirée se transforme en un moment de franche rigolade.
Au réveil, mon premier réflexe est de regarder par la fenêtre : la pluie n’a pas cessé de la nuit.
Après un petit-déjeuner, je charge mon vélo, adresse un dernier adiós à Diego et reprends ma route vers le sud.
Je passe devant Alarcón et sa magnifique forteresse qui domine le río Júcar et ses méandres. Un peu plus loin, je traverse un barrage en amont du village. La route s’élève ensuite pour me mener sur un plateau balayé par les éoliennes, dont les pales disparaissent dans les nuages. La pluie a cessé, mais le vent s’est levé.
François, mon météorologue à distance, m’informe que les conditions vont se détériorer et me conseille d’arriver avant 13 h ou 14 h. Je quitte la province de Cuenca pour celle d’Albacete. Après le plateau, je redescends sur une immense plaine bordée de vignes, d’amandiers et d’oliviers. Ce paysage m’accompagnera jusqu’à La Roda. Les longues lignes droites face au vent rendent la progression interminable.
Demain sera un autre jour. Je me rapprocherai de l’Andalousie, en espérant enfin de meilleures conditions.
Iberica traversa J12 La Roda ~ Alcaraz
Sur les traces de Don Quichotte
Tout avait bien commencé côté météo. De ma fenêtre : ciel bleu, grand soleil… J’ai même sorti le short.
Le café du départ avalé, me voilà parti hors de la ville, direction Alcaraz, 80 km plus loin. Mais à peine franchis les murs de la cité, la réalité me rattrape : la journée s’annonce bien différente de ce que j’avais imaginé. Très vite, les dépressions se succèdent, entrecoupées de brèves apparitions du soleil. Tel un chasseur d’ouragans, je scrute l’horizon et vois distinctement chaque perturbation se profiler, accompagnée de ses rideaux de pluie. J’ai l’impression d’évoluer dans un timelapse.
Nous sommes dimanche, et le dimanche, il est plus facile de trouver un bar ou un café ouvert, souvent la seule animation du village. À l’intérieur, l’ambiance est vivante : tout le monde semble s’y être donné rendez-vous. Je passe un peu pour un extraterrestre…
Barrax, ça ne la casse pas 😋, Lezuza, El Ballestero… Chaque village m’offre l’occasion d’un café pour me réchauffer.
Les maisons ont changé de couleur : la plupart arborent désormais des murs blancs, signe des chaleurs qui doivent écraser la région à certaines périodes de l’année.
La végétation évolue au fil des kilomètres : toujours ces champs d’oliviers et d’amandiers – ces derniers ayant perdu leurs fleurs sous l’assaut de la tempête de la veille – et une garrigue parsemée de chênes et de buis.
Il ne me reste plus que dix kilomètres avant Alcaraz quand un déluge de pluie et de grêle s’abat sur moi. Je continue malgré tout. Comme si le temps mesurait ma progression, la pluie cesse au moment même où je franchis le panneau d’entrée de la ville. Un dernier effort m’attend pour rejoindre le centre historique de la cité médiévale, perché sur les hauteurs.
Il est aussi temps de réfléchir à demain… Les prévisions ne sont pas des plus encourageantes.
Iberica Traversa J13 - Alcaraz ~ La Puerta de Segura
Un dernier tour dans Alcaraz, le temps de savourer un petit déjeuner et de profiter une dernière fois de son centre historique, qui restera l’un de mes coups de cœur de ce voyage.
Je quitte la ville sous une fine pluie, bien loin des orages de la veille, mais le vent, lui, n’a pas faibli. Cette étape sera avant tout une transition, marquant mon passage de la Castille-La Manche à l’Andalousie. Une cinquantaine de kilomètres principalement sur piste, avec un relief relativement plat.
Chaque jour, les paysages se renouvellent, rendant le périple toujours plus captivant. Les contrastes de couleurs entre terre et ciel offrent un spectacle magnifique.
Au kilomètre 30, bienvenue en Andalousie.
Un peu plus tard, je croise Ralf, un Allemand qui remonte vers Madrid. Il est parti de Grenade. Nous échangeons quelques mots avant de reprendre chacun notre chemin.
Je me rapproche de ma ville-étape : La Puerta de Segura, porte d’entrée du parc naturel de Ségura et de Cazorla. Bien moins charmante qu’Alcaraz, elle est néanmoins entourée de montagnes promettant de superbes panoramas pour la journée de demain.
Cap sur Cazorla et la traversée de son parc.
Iberica Traversa J14 La Puerta de la Segura ~ Cazorla
Une nuit agitée, réveillé plusieurs fois par la pluie battante et le vent soufflant contre les volets. Des hésitations, des doutes : devais-je prendre le départ au matin ?
Déjà deux semaines, mon corps s’est habitué à la répétition des efforts, je n’éprouve pas le besoin de faire une journée off, ni physiquement, ni mentalement, de ce côté, le ciboulot est au beau fixe.
Au réveil, la pluie tombe abondamment, mais malgré des prévisions incertaines, je décide de partir. Parfois, il faut écouter son instinct. J’opte pour un parcours modifié qui me fera traverser le Parque Natural de Cazorla. La météo, bien que capricieuse, alterne entre orages en début de matinée et en fin d’après-midi, laissant place à de superbes éclaircies.
Encore un coup de cœur pour ce site. Si vous voyagez en Espagne, ne manquez pas cet endroit magnifique et incontournable.
Je longe la rive gauche du lac de Tranco de Beas et franchis son impressionnant barrage. La rivière qui l’alimente n’est autre que le Rio Guadalquivir. On le retrouve à Cordoue, puis plus en aval à Séville, avant qu’il ne se jette dans l’Atlantique, légèrement au nord de Cadix. C’est l’un des plus grands fleuves d’Espagne.
Après le lac, je remonte la rivière presque jusqu’à sa source. C’est là que débute l’ascension de la plus grande difficulté du jour : le Puerto de Los Palomas. Un peu plus de 8 km d’effort avant d’atteindre le sommet, juste à temps pour enfiler ma Gore-Tex. Un orage violent me rattrape et ne me lâchera plus sur la descente du col et jusqu’à mon arrivée à Cazorla.
Sûrement l’une de mes plus belles journées à vélo depuis mon départ. Les paysages m’ont fait oublier les 90 km et 1 400 mètres de dénivelé positif.
Même si j’apprends à apprécier ces ciels chargés et ces pluies répétitives, une météo plus clémente serait la bienvenue pour les jours à venir.
Iberica Traversa J15 Cazorla ~ Pozo Alcon
Hier soir, n’ayant pas assez pédalé dans la journée, je pars pour une visite nocturne de Cazorla. Le centre historique est aussi riche qu’impressionnant, avec ses ruelles escarpées qui se transforment parfois en escaliers, un véritable dédale aux pentes vertigineuses.
Ma visite se termine sous la pluie, rendant le sol glissant et mon retour à la pension difficile – elle est perchée au sommet de Cazorla.
Après une nuit plus reposante que la précédente, j’ouvre les volets sur une ville engluée dans les nuages, quelques gouttes tombant encore. Je me prépare en conséquence pour une journée qui s’annonce humide.
Aujourd’hui, direction Pozo Alcon : une cinquantaine de kilomètres et plus de 1 000 mètres de dénivelé positif, sans la moindre idée des paysages qui m’attendent. Je serpente entre les champs d’oliviers sur un profil vallonné jusqu’à Quesada. À la sortie de la ville, la première difficulté du jour se dresse devant moi : une montée de 4 km avec des passages à 12 %. Au pied de la bosse, j’enlève mes vêtements de pluie : la température grimpe aussi.
Au sommet, le plafond nuageux s’est relevé, dévoilant les massifs environnants, dont les sommets restent prisonniers des nuages. Une belle descente me mène à Huesa, où je fais une halte ravitaillement. En repartant, la descente se prolonge. Deux virages serrés m’ouvrent soudainement la vue sur une vallée aux allures d’un autre monde : je plonge dans un désert sculpté de canyons, au milieu duquel serpente le Río Guadiana Menor. Je le longe sur quelques kilomètres, fasciné par ce changement radical de décor.
Mais la route s’élève à nouveau pour la dernière difficulté du jour : 7 km d’ascension jusqu’à Pozo Alcon. Je suis absorbé par le paysage digne d’un western, les yeux écarquillés, captivé par ce décor grandiose qui me fait oublier l’effort. L’ascension s’achève sur un haut plateau, d’où j’aperçois, devinant à travers les nuages, les cimes enneigées de la Sierra Nevada.
Demain, descente vers Gorafe. J’espère que le temps se lèvera enfin, car cette partie du voyage promet des panoramas exceptionnels.
Iberica Traversa J16 Pozo Alcon ~ Je ne sais pas 😂
Je m’étais fixé une grosse étape : rejoindre Grenade.
Mais à une vingtaine de kilomètres de mon objectif, après 90 km parcourus et 1 148 m de dénivelé positif, je suis contraint de trouver un abri pour la nuit. Un hôtel pour routiers, perdu au milieu de nulle part…
La journée a été éprouvante. Une véritable tempête : vent à plus de 60 km/h selon la météo, pluie, grêle… Quelques brèves éclaircies, à peine perceptibles. Sans doute la pire journée depuis mon départ.
Côté itinéraire, environ 60 % de pistes. Rapidement, j’entre dans le désert de Gorafe. Moins spectaculaire que celui des Bardenas Reales, sans doute à cause du ciel couvert. Mais dès qu’un rayon de soleil perce, le paysage se transforme : les couleurs changent du tout au tout.
Vers le 20ᵉ km, une partie de la montagne s’est effondrée, bloquant totalement la piste. Impossible de passer. Je dois faire demi-tour et trouver une alternative, sans prendre de risques inutiles.
À Huelago, je trouve un bar ouvert et m’y arrête pour un café, histoire de me réchauffer. Je discute avec un agriculteur qui a étudié l’agronomie en France avant de reprendre la ferme familiale. Intrigué par les plantations de peupliers et d’oliviers que je vois dans cette partie du désert, je l’interroge. Il m’explique que ces espèces s’adaptent très bien à l’altitude et que leur développement récent est une conséquence directe du réchauffement climatique.
Après ce café, je reprends la route. La pluie aussi. Je me persuade que ce n’est qu’une averse passagère, comme les précédentes. Mais non. Je plonge dans un véritable chaos climatique, qui m’accompagne jusqu’à la fin de l’étape.
Demain, il me reste une vingtaine de kilomètres avant d’atteindre Grenade. J’y ferai une pause d’au moins une journée. Mon matériel, comme moi, avons besoin d’une bonne révision.
Ce sont ces moments difficiles qui nous définissent, face aux épreuves.
Iberica Traversa J17 Iznalloz ~ Grenade
Après une excellente nuit passée dans ce routier, trouvé in extremis hier soir, je jette un œil à la météo ⛈️⛈️ … Ça commence à se gâter un peu. Heureusement, l’étape du jour est courte, et j’ai prévu une journée de repos juste après. Mais tout de même, 39 kilomètres à parcourir.
Je me tâte à prendre l’autoroute à quatre voies qui se trouve juste devant moi, en me disant que j’arriverais plus vite à Grenade 😋😂. Finalement, par prudence, je choisis une piste qui longe la voie rapide pendant quelques kilomètres avant de s’échapper au milieu des oliviers, ces champs qui m’impressionnent toujours autant.
Comme dans toutes les grandes villes, il faut traverser des zones commerciales et industrielles avant d’atteindre le centre, même si je reste légèrement en périphérie. Je suis un peu frustré d’arriver à Grenade sous un ciel couvert. Normalement, l’arrivée sur la ville, avec l’Alhambra qui la domine et la Sierra Nevada en arrière-plan, est absolument magnifique.
Première mission : direction le bike shop pour récupérer quelques fournitures et remplacer ma chape de dérailleur. Petit moment de solitude linguistique : quand tu dis aux Espagnols que tu ne parles pas leur langue, eux, ils pensent que tu l’écoutes quand même 😂😂😂. Heureusement, les apps de traduction aident… sauf pour la phonétique ! Moi qui prononce le “S” de SRAM au lieu du “CH” espagnol, soit “CHRAM” pour les initiés… fou rire garanti dans le magasin.
Après plusieurs échanges ces derniers jours pour commander la pièce, mauvaise nouvelle : elle n’est pas arrivée. En revanche, ils ont le dérailleur complet en stock. Avec beaucoup de gentillesse, le mécano démonte la chape pour me dépanner. Toute l’équipe fait ensuite le tour de mon vélo avec admiration.
Je profite de l’occasion pour un nettoyage complet du vélo, qui me remercie à sa manière. Puis je prends possession de ma chambre et file faire une lessive en laverie automatique. Maintenant, il est temps de penser (ou panser !) à moi… Quelques soins sont nécessaires pour la suite de l’aventure.
Au bike shop, j’ai aussi discuté avec l’équipe des conditions du terrain après les intempéries persistantes en Andalousie. Ils m’ont donné leur avis de locaux… et pour finir, un très pragmatique : « C’est vous qui voyez ! » 😂
Cette journée de repos sera l’occasion de réfléchir aux alternatives pour la suite. Mon cerveau est encore humide des jours précédents…
Depuis mon départ, toutes les personnes rencontrées m’ont témoigné une gentillesse et une serviabilité incroyables.
Demain, donc, journée off 😅
Iberica traversa J18 journée de repos à Grenade
Étonnamment, aujourd’hui, je ne pédale pas… et il fait un temps magnifique ! Un grand ciel bleu, aucun nuage à l’horizon, pas un souffle de vent. Alors autant en profiter pour flâner dans Grenade et retrouver un peu d’équilibre. Après 17 jours passés sur le vélo, j’ai presque perdu l’habitude de marcher, ça va me faire du bien. Une petite balade, un peu de récupération active… parfait pour cette journée off.
Rapidement, je rejoins le centre historique et son labyrinthe de ruelles où trône, majestueuse, une cathédrale nichée en leur cœur. Je poursuis mon ascension vers le Mirador San Nicolás, d’où s’offre à moi une vue imprenable sur l’Alhambra et la Sierra Nevada, baignée de lumière.
Cette partie de Grenade fascine par son architecture typiquement andalouse, imprégnée d’art mauresque. Les palacios se succèdent, certains dévoilant leurs patios et jardins intérieurs, véritables écrins de verdure où le temps semble suspendu.
Je redescends vers le centre-ville pour savourer un café en terrasse, profitant du soleil généreux. Autour de moi, la foule s’épaissit, mêlant locaux et touristes attirés par cette douceur de vivre.
Déjà, mes pensées dérivent vers demain et le retour annoncé du mauvais temps. Il sera temps de prendre la route vers la côte et les rivages ensoleillés de la Costa del Sol.
Iberica Traversa J19 Granada ~ Salobrena
Un petit desayuno et départ sous la… Non, je refuse de prononcer ce mot ! 😋
Aujourd’hui est une journée particulière, emplie de souvenirs qui refont surface. C’est le premier jour de la Cape Epic et son prologue, où Olivier et Aurélien sont engagés. J’ai transformé mon téléphone en véritable poste de pilotage sur mon bureau pour suivre leur course en direct.
Déjà à la sortie de Grenade, je contourne la Sierra Nevada, noyée sous un épais plafond nuageux. L’ascension commence : un puerto à près de 900 mètres, où l’on devine les premières pentes enneigées. Puis vient la descente vers Padul et Dúrcal, avec un passage au cœur du Parc Naturel de la Sierra Nevada. Je traverse la gorge étroite du Barranco de Tablate et son pont antique, avant d’entamer la longue descente vers la mer.
Je longe les berges du lac de Rules, où se rejoignent le Río Ízbor et le Río Guadalfeo. Ce dernier, après le barrage de Rules, s’engouffre dans une gorge profonde qui me guide jusqu’à Motril et Salobreña. Enfin, la mer. Le ciel s’est dégagé, un vent fort repoussant les nuages vers l’intérieur des terres.
Je suis la côte pendant quelques kilomètres, surplombant Salobreña et sa citadelle qui domine la ville.
Demain, retour sous la… (non, toujours pas !) avant de filer vers Málaga.
Iberica Traversa J20 Salobrena ~ Malaga
Soirée mémorable dans ma pension, une véritable auberge espagnole où règne une ambiance survoltée, portée par un groupe d’Anglais à l’énergie débordante, malgré une moyenne d’âge de 80 ans. Une quinzaine de compagnons du troisième âge qui défient le temps, s’amusent avec une insouciance exemplaire et insufflent une joie communicative.
Départ matinal, sous un ciel hésitant entre giboulées et éclaircies. Trop chaud malgré tout pour supporter mes vêtements de pluie : une moiteur tropicale s’est installée, ils me collent à la peau.
Les premiers kilomètres de côte évoquent la Riviera, où mer et montagne escarpée semblent se disputer l’espace, ne laissant place qu’à une route sinueuse bordée de quelques villages et d’îlots de villas cossues.
En chemin, un détail m’arrache un sourire : deux panneaux publicitaires annoncent chacun un concert, l’un de David Guetta, l’autre… d’un jardinier local. Une juxtaposition improbable qui suffit à me divertir.
Un peu plus loin, je croise John, un Irlandais au regard vif, sûrement un O’Hara… Il vient de Cork, a pris la route depuis Almería et remonte jusqu’à Barcelone. Quinze minutes d’échange spontané, un moment agréable qui me rappelle que je ne suis pas seul à vivre une aventure.
L’arrivée à Nerja marque la fin du littoral montagneux. Le bord de mer s’élargit et alterne entre stations balnéaires, zones maraîchères et vergers d’orangers et de citronniers.
En longeant la côte, les villes et villages, entre modernité et authenticité, dégagent une atmosphère qui oscille entre Venice Beach et la Californie, jusqu’à Málaga.
La météo, fidèle à ses promesses, n’a pas failli.
Tellement de choses interpellent mes yeux, mais le temps ne favorisent pas les arrêts photos.
Les plages, de Nerja à Málaga, portent encore les stigmates des intempéries récentes. Des employés s’activent à les nettoyer, mais elles restent en grande partie jonchées de branches et des vestiges charriés par les crues et rejetés par la mer.
La saison touristique bat déjà son plein. L’affluence à Málaga me surprend, particulièrement dans les lieux prisés. Le festival de Málaga y est sans doute pour quelque chose.
Les bars n’ont pas non plus oublié la Saint-Patrick. Vu le nombre d’Anglo-Saxons présents, ils ont bien fait de ne pas manquer l’événement, malgré une météo capricieuse.
Málaga se prête à merveille aux festivités, avec ses ruelles piétonnes animées et envoûtantes.
Demain, cap sur Estepona, en passant par Marbella, sous un ciel qui s’annonce plus clément.
Iberica traversa J. 21 Malaga ~ Estepona
Málaga s’éveille.
Un départ matinal depuis la Pension Santa Paola, au fil des rues piétonnes animées par ceux qui partent travailler et ceux qui vont s’adonner au sport. Le bord de mer reflète cette dualité : joggeurs, adeptes du crossfit en plein air, une atmosphère où tout semble couler de source, sans précipitation. Le soleil est au rendez-vous, et la sortie de la ville se fait en douceur.
Rapidement, j’atteins le Rio Vélez et sa lagune, gonflés par les précipitations nocturnes. Son débit est puissant, trahissant l’orage qui a grondé quelques heures plus tôt. Puis vient la traversée de la zone aéroportuaire de Málaga avant de retrouver la mer et une succession ininterrompue de stations balnéaires. Loin des espaces sauvages que j’affectionne, elles m’inspirent pourtant une réflexion : elles existent, et cela a du sens, il en faut pour tout le monde.
Sous un soleil radieux et dans une absence presque totale de vent, les touristes sont déjà là. Je n’ose imaginer ce que cela donne en pleine saison… Vers 11h, l’ouest s’éveille à son tour : un vent soudain se lève, faisant fuir une partie des estivants. Quelques téméraires s’accrochent malgré tout, défiant les bourrasques.
Marbella se profile à l’horizon lorsque le ciel vire au gris. Le vent tourne, la météo change encore. Une première averse, forte et brutale, vide les rues en un instant.
Puis Puerto Banús surgit, un mini Saint-Tropez espagnol : yachts ancrés, vitrines de luxe, voitures rutilantes, touristes en Gucci… Un monde clinquant, une parenthèse dorée. Peut-être une punition pour mon voyeurisme mal placé, car la pluie ne me lâchera plus jusqu’à Estepona.
La ville a bien changé depuis ma dernière visite, il y a une dizaine d’années. Pourtant, son cœur historique est resté intact, préservé, et c’est ce qui fait tout son charme. Je trouve refuge à la Veranera Hostel, une auberge espagnole à l’image du film : toutes les nationalités, tous les âges, des échanges spontanés, de la musique, du chant, de la cuisine partagée… Une atmosphère vivante et chaleureuse.
La maison traditionnelle qui accueille ce joyeux monde s’étend sur trois niveaux. Dortoirs hommes et femmes, fraîchement rénovés, où chaque détail est soigné sans dénaturer l’âme du lieu. Tout en haut, une terrasse sur le toit offre une vue imprenable sur la ville. L’endroit parfait pour récupérer après mes 100 km du jour, aux détours liés aux dégâts des eaux, ponts arrachés, routes coupées, qui m’ont bien entamé.
Et demain ? Tarifa, en principe. Encore une centaine de kilomètres, avec un peu plus de dénivelé… Tout dépendra de la météo.
Iberica traversa J22 Estepona ~ Tarifa
Quelques échanges avec mes colocataires d’une nuit, puis un petit café en ville, en terrasse, sous un soleil encore timide. Là, une nouvelle conversation s’engage avec un couple français installé ici depuis vingt ans. Et toujours ces questions amusantes : Électrique ? Il pèse combien ? Des détails que je préfère ne pas savoir pour cette dernière.
Mon objectif du jour : Algésiras. Je me sens encore fatigué de la veille.
La sortie d’Estepona est agréable, longeant un bord de mer bien plus calme que celui de Marbella. Ici, malgré les aménagements déjà en place, tout semble encore en pleine évolution. L’alternance entre grands clubs de vacances et petits îlots d’habitations plus modestes témoigne d’une côte en pleine mutation, se préparant à la haute saison. Quelques clubs eux en revanche semblent en pleine désuétude et font tâches.
Hier, le rocher de Gibraltar était bien visible. Aujourd’hui, il s’efface dans la brume, qui s’épaissit à mesure que je quitte la côte pour contourner Algésiras. À partir de Gibraltar, le littoral laisse place à une vaste zone portuaire et industrielle, sans grand intérêt.
Le beau temps m’a abandonné depuis un moment, remplacé par un brouillard épais. Mon objectif est atteint : 70 km parcourus. Il m’en reste une quinzaine pour rejoindre Tarifa.
Pause café. L’occasion de faire le point : physiquement, je me sens mieux que prévu. Côté météo, en revanche, demain s’annonce compliqué : dépression sur Tarifa, pluie et vent au programme.
Je repars pour une montée d’une dizaine de kilomètres avant de plonger sur Tarifa. Le Puerto de El Bujeo (320 m), puis l’ultime ascension vers l’Alto de El Cabrito (340 m). Au passage du col, le ciel se dégage. En contrebas, Tarifa, point de rencontre entre la Méditerranée et l’Atlantique. La dépression semble elle aussi marquer cette frontière naturelle. Au loin, l’Afrique se devine, voilée d’embruns.
La descente est rapide. Une fois arrivé, j’en profite pour aller jusqu’à la digue qui sépare les deux mers. Pas sûr que j’aie une autre occasion de faire une photo. Le vent a encore forci. Les rafales constantes soulèvent le sable et l’eau, menaçant presque de me faire tomber.
Demain, journée off. J’en ai vraiment besoin après ces derniers jours éprouvants. J’espère pouvoir tout de même visiter le centre-ville, malgré la météo annoncée.
Iberica Traversa J23 Tarifa
Aujourd’hui, journée de repos. Écouter mon corps, répondre à ce besoin, mais sans pour autant rester inactif. Flâner à pied dans Tarifa me permet de rester en mouvement tout en m’imprégnant de l’atmosphère locale—l’essence même du voyage.
Après une nuit agitée par le vent et une matinée pluvieuse, la journée s’annonce plus douce. Tarifa, à l’extrême sud de l’Espagne, est le point de rencontre entre la Méditerranée et l’Atlantique. À seulement 14 km du Maroc, elle forme un carrefour entre l’Europe et l’Afrique.
Réputée mondialement pour ses vents puissants, elle attire une communauté de kitesurfeurs et windsurfeurs qui animent ses plages. Partout, de petits détails rappellent cette identité : stickers sur les vans, fresques murales évoquant le vent, boutiques spécialisées… Une culture surf bien ancrée, qui perdure malgré l’émergence de nouvelles disciplines. Son ambiance bohème et cosmopolite séduit les voyageurs et les nomades. Dans les ruelles blanches, embaumées par le parfum des orangers, les cafés animés invitent à la pause. J’aurais presque envie de m’arrêter à chacun d’eux…
Tarifa, c’est aussi une ville chargée d’histoire. Depuis le Castillo de Guzmán el Bueno, la vue embrasse la ville et son port. C’est ici que commence le Parque Natural del Estrecho, que je longerai demain pour entamer ma remontée vers Jerez de la Frontera. Les prévisions météo ne s’améliorent pas, mais l’aventure continue.
Iberica Traversa J24 Tarifa ~ Jerez de la Frontera
Vent, sable et traversée improvisée, un peu d’aventure.
Je prépare mon paquetage sous une pluie persistante à Tarifa. D’après les prévisions, il devait pleuvoir toute la journée, mais la perturbation a pris une nuit d’avance. Une fois mon vélo prêt, la pluie s’arrête brusquement, chassée par un vent d’ouest violent qui pousse les nuages vers l’intérieur des terres.
Dès la sortie de Tarifa, je longe la plage et le lagon de Los Lances, en traversant la réserve naturelle Del Estrecho. Après près de 10 kilomètres, la plage se termine sur l’Ensenada de Valdevaqueros, dominée par une immense dune. Peu après, le paysage change : une belle forêt de pins prend le relais.
Le vent latéral va m’accompagner pendant près de 60 kilomètres. Il me contraint à lutter en permanence pour ne pas dévier de ma trajectoire. Heureusement, le soleil est au rendez-vous.
Je quitte le bord de mer pour traverser une immense plaine agricole. Rapidement, la monotonie s’installe, et je me résigne à une étape sans grand intérêt. Pourtant, j’avais noté Vejer de la Frontera sur mon roadbook. Après 50 kilomètres, j’y arrive enfin. La montée est exigeante, mais la récompense est à la hauteur de l’effort : un village perché aux maisons d’un blanc éclatant, impeccablement ordonné. C’est un coup de cœur immédiat.
Je fais une pause ravitaillement et entre dans un bar. La patronne me dévisage avant de lancer :
« ¿Qué quieres, caballero ? »
Je pense avoir compris et passe commande, mais un doute me traverse. Je vérifie discrètement sur mon traducteur : Caballero signifie chevalier. Pourtant, mon armure était bien rangée dans mes sacoches ! Je souris : elle m’a reconnu malgré tout.
Après cette pause revigorante, je reprends la route en direction du bord de mer. En passant par Conil, je constate que le vent a ramené du sable partout, même loin de la côte. Toujours cette lutte contre Éole, et un paysage sans grand attrait qui ravive ma lassitude.
En approchant de Chiclana de la Frontera, le ciel s’assombrit et, dans la brume, j’aperçois Cadix. Bonne surprise : le vent tourne et devient enfin favorable.
Je m’engage sur de belles pistes, mais rapidement, coup d’arrêt : une rivière en crue barre la route. Son cours est large, et l’interdiction de passage clairement matérialisée. Premier détour : environ 5 kilomètres. Je reprends ma route, mais dix kilomètres plus loin, nouvelle piste coupée. Cette fois, aucun itinéraire de contournement à plusieurs kilomètres à la ronde.
Je décide de longer la rivière pour trouver un passage. À première vue, l’endroit semble praticable… Je m’engage, l’eau monte aux genoux, puis aux cuisses… à la taille ! Plus profond que prévu. Heureusement, mon vélo me sert de point d’appui, et j’atteins l’autre rive sans encombre. Test d’étanchéité des sacoches validé – du bonhomme aussi.
Il me reste une quinzaine de kilomètres jusqu’à Jerez (Xérès), juste le temps nécessaire pour sécher mes affaires. La ville est grande mais sans charme particulier. Après 123 kilomètres et une journée riche en péripéties, je préfère me reposer plutôt que d’explorer les lieux.
Demain, si tout va bien : direction Séville.
Iberica traversa J25 ~ Jerez de la Frontera ~ Séville
L’étape d’hier a laissé des traces, je le ressens dès les premiers coups de pédale.
C’est fou comme l’entrée dans une ville peut en changer la perception. Hier, j’y suis arrivé par le sud, traversant des zones industrielles et des quartiers aux maisons fatiguées. Aujourd’hui, en empruntant un autre chemin, la ville me semble bien plus accueillante et mise en valeur.
La journée s’annonce incertaine, marquée par une météo capricieuse. Il a fait quelques degrés de moins ce matin, et le soleil joue toujours à cache-cache.
Après 12 kilomètres, premier contretemps : route barrée. Une rivière a débordé, m’obligeant à revoir mon itinéraire. Un détour de 10 kilomètres s’impose. Petit coup au moral… Et pour ne rien arranger, le vent s’invite à la partie.
Ironie du sort, mon détour me ramène vers Jerez. Allez, pas le choix, je reprends mon cap.
C’est samedi, l’Espagne roule. Beaucoup de cyclistes sont sur la route, en vélo de route ou en VTT. Vu les conditions, j’ai droit à quelques tapes amicales sur l’épaule, des pouces levés, les automobilistes et piétons avec de petits coups de klaxon bienveillants, des sourires et petits gestes d’encouragement.
Et puis, il y a vous, vos likes, vos messages… Un vrai moteur dans cette aventure, merci !
Au kilomètre 40, je quitte la province de Cadix pour entrer dans celle de Séville. Le paysage change brusquement : fini les vastes plaines, place à des collines boisées et vallonnées… mais seulement pour quelques kilomètres.
Un instant, tout me ramène au célèbre fond d’écran Windows de Bill Gates, ce champ verdoyant sous un ciel bleu éclatant. Un souvenir qui me fait sourire.
Je continue mon duel avec Garmin, qui semble aussi perdu que moi. Il m’annonce des descentes alors que je grimpe une côte, et l’inverse. Lui aussi est tourmenté aujourd’hui…
Une colline, un virage, et cette irrésistible envie de découvrir ce qu’il y a derrière. Je passe Arcos de la Frontera, ville animée en ce samedi. Puis, le paysage s’aplatit à nouveau. Monotonie. Je traverse des kilomètres de zones inondées. Désolation. Et toujours cette crainte d’être bloqué.
Enfin, Séville se dessine à l’horizon. Encore 10 kilomètres pour rejoindre le centre-ville.
Une journée éprouvante, aussi bien physiquement que mentalement. Une journée face à moi-même, entre réflexion et effort.
Demain, cap sur Huelva et le Portugal.
Iberica Traversa J26 Séville ~ Ayamonte
Après une nuit dans un dortoir bruyant, couché fatigué à 21h30, j’avais pris la précaution d’enfiler des bouchons d’oreilles, prévoyant le retour tardif de mes jeunes colocataires d’un soir.
Départ de Séville sous la pluie et un vent de nord-ouest qui fait chuter la température. Il est 7h30, les rues sont désertes.
Aujourd’hui, c’est une grosse journée : près de 150 km au programme, direction la frontière portugaise.
Oups… Garmin déchargé après seulement 3 km. J’ai oublié de recharger mes appareils. Et Garmin, j’imagine, n’a pas apprécié mes négligences…
Je bascule sur Maps.me, l’application qu’Alain m’avait recommandée avant mon départ et que j’utilise presque à chaque étape, soit en complément, soit pour ajuster mon itinéraire.
La sortie de Séville est longue, entre faubourgs et zones agricoles. Le paysage est identique à la veille : terres détrempées et zones inondées à perte de vue.
Première pause café. J’en profite pour envoyer mes encouragements à Olivier, qui attaque sa dernière étape de la Cape Epic.
Enfin, Huelva. La pluie s’arrête et le ciel se dégage. Je traverse l’immense pont enjambant le delta du Rio Tinto et de l’Odiel, avant d’entrer dans le Paraje Natural Marismas del Odiel, bordé de marais salins. Une vaste forêt de pins parasols s’étend devant moi jusqu’à Cartaya.
Les cistes, fleurs emblématiques du Portugal, commencent à orner le bord de la route.
Dernier ravitaillement à Lepe, une ville nettement moins charmante que Cartaya. Il me reste 40 km avant Ayamonte et le Guadiana, ce fleuve qui marque la frontière naturelle avec le Portugal. La traversée se fait en ferry, mais le dernier part à 18h00… Je ne serai pas à l’heure.
Premier départ demain à 10h00.
Quelle étrange machine que le corps humain : hier, j’étais épuisé, physiquement et mentalement. Aujourd’hui, je parcours mon étape comme si de rien n’était. Ou presque…
Demain, première étape portugaise. Objectif : Albufeira, malgré un départ tardif imposé par le ferry.
Dernière ligne droite vers Lisbonne.
Iberica traversa J27 ~ Ayamonte ~ Praia Faro
10h30, premier ferry pour traverser de l’Espagne au Portugal, d’Ayamonte à Vila Real de Santo António.
Enfin, une belle journée s’annonce. Pourtant, malgré le soleil, l’attente avant l’embarquement, la peur de rater le départ et la traversée m’ont frigorifié.
À peine débarqué en terre portugaise, je ressens un changement d’atmosphère immédiat.
Il me faudra quelques kilomètres pour me réchauffer.
Petit bonus du passage : en changeant de rive, je gagne presque une heure grâce au fuseau horaire.
Je longe la côte, croisant une plage où des pêcheurs déposent leurs casiers.
Puis, au km 20, coup d’arrêt brutal : boîtier de pédalier HS.
Direction Tavira, où j’ai repéré un bike shop. Dix kilomètres à pied, à pousser le vélo pour éviter d’aggraver les dégâts… 😅
L’eau et le sable des derniers jours ont laissé des traces. Ne reste plus qu’à attendre l’ouverture du magasin en croisant les doigts pour qu’ils aient la pièce.
Tavira est une charmante petite ville portugaise, pleine de charme et d’attraits. Je profite de cette attente pour m’aventurer dans quelques ruelles.
Réparation effectuée, je reprends la route, ça fonctionne déjà mieux, mais mon objectif initial – Quarteira – semble désormais hors de portée.
J’atteins Olhão, protégée par une longue lagune de plusieurs kilomètres.
Au 70e kilomètre, je passe Faro… à bout de forces. Le petit-déjeuner n’ai pas passé, impossible de m’alimenter.
Je trouve finalement un dortoir à Faro Beach : 10 km de plus, 10€ la nuit. L’emplacement est parfait pour profiter de cette belle fin de journée et refaire le plein d’énergie.
Demain sera une meilleure journée … Cap un peu plus loin 😋
Iberica Traversa J28 Faro ~ Lagos
Couché tôt la veille après avoir admiré le coucher de soleil sur la plage de Faro, je me réveille aux aurores dans un dortoir de huit personnes. Mes colocataires, majoritairement anglo-saxons – Anglais, Néo-Zélandais, Gallois, Irlandais, Suédois – forment un mélange intéressant à découvrir, reflet de la simplicité et du cosmopolitisme des auberges de jeunesse. Ayant pris soin de les prévenir de mon départ matinal et d’organiser mes affaires pour minimiser le bruit, je quitte la chambre sur la pointe des pieds.
Ma première satisfaction du jour est d’assister au lever du soleil sur la lagune qui sépare la terre de l’océan. Entre ces deux mondes, les marais abritent une incroyable diversité d’oiseaux, probablement en pleine migration. Une longue passerelle d’une dizaine de kilomètres traverse cet écosystème préservé, où je croise joggeurs et marcheurs matinaux, profitant eux aussi de la quiétude du lieu.
Rapidement, j’atteins Vilamoura, ville qui, en 2023, accueillait l’arrivée de la TransPortugal VTT – un clin d’œil à Georges et Fred au passage. Puis, je poursuis mon chemin sur les pistes longeant les falaises d’Albufeira.
En route, je rencontre de nombreux Français, principalement des retraités installés ici depuis plusieurs années. Mais c’est une rencontre particulière qui me marque : celle de Jean et de sa femme. Venu du nord de la France, Jean, atteint d’une maladie incurable, a choisi de passer quelque temps à Albufeira avant d’entamer une nouvelle thérapie. Nous échangeons une vingtaine de minutes. C’est peu, mais suffisant pour ressentir que ce moment lui apporte quelque chose – et à moi aussi.
Initialement, je m’étais fixé Portimão comme objectif, après 75 km depuis Faro. Mais je me sens bien, porté par l’élan du voyage, et décide finalement de pousser jusqu’à Lagos.
Demain, cap sur Sagres, c’est certain. Mais si les jambes suivent, j’essaierai d’aller un peu plus loin, amorçant ainsi ma remontée vers Lisbonne.
Iberica Traversa J29 Lagos ~ Aljezur
Un petit déjeuner sur la Marina de Lagos qui s’éveille. Les pêcheurs déchargent directement leur cargaison pour achalander les étals du marché.
Je prends la route, sans idée précise de la distance que je vais parcourir… Premier objectif : Sagres. Une sorte de pèlerinage. C’est là que s’était achevée la TransPortugal 2018, sur une dernière étape marquée par une chute, une roue pliée, et une arrivée tant bien que mal… avec Georges qui m’attendait à l’arrivée.
Revenir ici avec un regard différent, loin de l’intensité de la course, me procure une certaine émotion.
Avant cela, je traverse Salema, un magnifique village niché au bord de la mer, encastré entre les falaises. Il se mérite : une montée à 20 % pour y accéder, et une autre du même calibre pour en sortir. La route est agréable, vallonnée jusqu’à Vila do Bispo. Avant de plonger sur Sagres, je prends le temps d’emprunter la boucle de la Fortaleza et de son phare, qui marque la pointe extrême sud-ouest de l’Europe. Un ravitaillement rapide avant de prolonger jusqu’au phare de São Vicente.
Il est encore tôt, et j’ai déjà parcouru 50 km. Allez, je pousse jusqu’aux falaises de Carrapateira et sa magnifique plage, un spot prisé des surfeurs. Ici, comme à Sagres, il faut afficher le style : une planche sur le toit de la voiture pour être dans le coup. Les vans sont alignés, mais les meilleures vagues ont dû passer plus tôt : les planches sont déjà rangées, les combinaisons sèchent au soleil.
Je poursuis mon chemin, remontant vers les falaises qui dominent l’océan. Lors de la course, nous avions traversé cette plage sans que je prenne vraiment le temps d’observer les paysages. Aujourd’hui, le regard est différent : une boucle d’un peu moins de 10 km avant d’arriver au village.
Je suis toujours en forme et continue ma route. Les pistes s’éloignent un peu du littoral, mais l’océan n’est jamais bien loin. La végétation change progressivement, passant de la steppe à des forêts mêlant pins et eucalyptus.
Après 106 km et 1 400 m de dénivelé, j’arrive à Aljezur, où je trouve une auberge en dortoir. Beaucoup de marcheurs y font halte, notamment ceux qui parcourent le GR11 portugais.
Bilan : une magnifique journée de vélo et de découvertes sur cette côte sauvage, sans doute la plus belle depuis mon départ. Un vrai coup de cœur.
Demain, cap sur Sines.
Iberica traversa J30 Aljezur ~ Sines
Encore une belle soirée passée en compagnie de randonneurs, la plupart engagés sur le GR11, un itinéraire réputé qui relie Lisbonne à Lagos du nord au sud. À en juger par le nombre de marcheurs croisés, ce sentier jouit d’une belle popularité.
Les échanges sont spontanés et chaleureux, débutant invariablement par les classiques « D’où viens-tu ? Où vas-tu ? », avant de se transformer en véritables partages d’expériences et d’anecdotes. Certains ont entamé leur aventure en solitaire avant de se regrouper au gré des rencontres et des affinités. Beaucoup de femmes randonneuses d’ailleurs, créant parfois de petits groupes soudés, nés de la route et du hasard.
Au départ d’Aljezur, le chemin serpente à travers une vallée bordée d’eucalyptus. Je longe une rivière qui s’écoule vers l’océan sous un ciel légèrement voilé. L’étape du jour se déroule principalement à l’intérieur des terres, avec quelques échappées vers la côte. L’océan reste pourtant omniprésent. Même lorsqu’il disparaît derrière les collines, on ressent encore son influence. Par moments, l’illusion est étrange : on pourrait presque croire que l’on marche en contrebas de son niveau.
Zambujeira do Mar apparaît, un joli village accroché aux falaises, accessible par des côtes vertigineuses.
Tout au long du parcours, je croise ces marcheurs qui, à l’inverse de moi, progressent du nord vers le sud. À chaque rencontre, un signe de tête, un sourire, un « hello » lancé en passant… Des instants brefs mais toujours empreints de cette complicité propre aux voyageurs.
Je poursuis ma route jusqu’à Vila Nova de Milfontes et traverse le Rio Mira, un immense estuaire où les limites entre fleuve et océan se confondent.
Encore une trentaine de kilomètres avant d’atteindre Sines, dont l’imposante silhouette se dessine de loin. Entre le port maritime et la centrale électrique aux trois grandes cheminées, le contraste avec l’environnement naturel est frappant.
Avant d’y parvenir, une dernière halte à Porto Covo, un village typique aux maisons d’un blanc éclatant.
106 km de plus derrière moi. Pour clôturer cette étape, une ultime ascension abrupte jusqu’à la citadelle de Sines.
Je me sens porté par l’élan de la découverte, bien plus que par l’envie d’en finir.
Demain, cap sur Troia et une nouvelle traversée en ferry vers Setúbal.
Iberica Traversa J31 Sines ~ Lisbonne - 130km
Je quitte rapidement Sines et m’engouffre aussitôt dans une immense forêt, entrecoupée de pistes sablonneuses. C’est agréable pour les jambes, mais j’y laisse pas mal d’énergie. La végétation se compose d’abord d’eucalyptus, puis de pins, donnant à l’endroit un air de Landes ou de forêt de Fontainebleau.
J’arrive à Vila Nova de Santo André et fais une pause café et petit-déjeuner. Parti à jeun, je n’avais rien trouvé d’ouvert plus tôt. Ici, les habitants semblent avoir l’habitude de prendre leur petit-déjeuner à l’extérieur.
Pendant cet arrêt, une différence me frappe entre les deux pays de la péninsule : le Portugal est bien plus propre, surtout en dehors des villes. En centre-ville, j’y remarque souvent des cantonniers, mais à l’ancienne, balai à la main, comme ceux que l’on voyait autrefois dans nos rues.
Je reprends la route sur des pistes sablonneuses, un vrai terrain de jeu pour le gravel. Je passe Melides et croise un jeune voyageur, Alexander. Nous roulons ensemble sur une vingtaine de kilomètres. Une belle rencontre, une belle histoire : Alexander est russe et a fui son pays dès le début du conflit ukrainien, en désaccord avec le régime. Il déplore que tant de gens restent silencieux par peur. Installé en Pologne, il est parti depuis six semaines pour longer toute la côte de la péninsule, au départ de Barcelone. Nous nous séparons à contrecœur, lui ayant besoin de ravitailler.
J’arrive à Carvalhal et retrouve des chemins sablonneux, marquant le début de la lagune de Troia, qui sépare l’océan de l’immense estuaire du Rio Sado. À Troia, une courte attente avant d’embarquer sur le ferry pour Setúbal, une traversée de cinq kilomètres. À bord, je fais la rencontre d’un couple allemand en voyage à VTT, chacun avec une petite remorque. Ils sont partis de Faro et remontent jusqu’en Allemagne.
Je m’étais fixé Setúbal comme étape, mais il n’est que 15 heures. Je décide alors de pousser jusqu’à Lisbonne dans l’après-midi.
Après quelques kilomètres le long de la côte, je me retrouve bloqué par une course cycliste et dois modifier mon itinéraire … « ah, ces cyclistes ». Dommage, cette portion s’annonçait prometteuse. Je coupe donc directement vers Lisbonne, les derniers kilomètres avant le ferry se faisant en zone urbaine. Nouvelle traversée, cette fois entre Almada et Lisbonne, séparées par le Tage, ce même fleuve dont j’ai visité la source en Espagne.
Il y a un peu d’émotion en posant le pied à Lisbonne, dernière étape de cette aventure. Je rejoins l’auberge où j’ai réservé un lit. C’est vendredi soir, la ville est en pleine effervescence, les rues et les bars sont bondés.
Je ne pensais pas terminer mon voyage aujourd’hui, mais certains signes ne trompent pas. Comme si mon corps le savait, quelques douleurs apparaissent, de légères inflammations tendineuses, rien de bien grave, juste un rappel du chemin parcouru.
Demain, cap sur la logistique : préparation du retour, emballage du vélo. Et dimanche, un dernier tour pour profiter de cette belle ville.
Maintenant, il va falloir digérer tout ce que j’ai vu, tous ces souvenirs gravés dans ma mémoire, bien au-delà de ce que j’ai pu retranscrire en mots ou en images.
Tous ces endroits traversés, certains m’ont donné envie de revenir, de prendre le temps de les explorer autrement, ce que l’on ne fait pas toujours lorsqu’on est simplement de passage.
Un immense merci de m’avoir suivi. Votre présence, même à distance, a été précieuse, surtout dans les moments de doute ou face aux épreuves. C’était bien de vous avoir sur mon porte-bagages 😋
Ce n’est que la fin de cette aventure… et sûrement le début d’une autre.
Lisbonne - Clap de fin
Une parenthèse touristique pour clore le voyage : arpenter les rues de Lisbonne, presque aussi éprouvant que mes journées de vélo, tant la ville se dessine en pentes et ruelles escarpées. Mais quel plaisir de se perdre dans cette capitale aux mille couleurs !
Après une journée de samedi consacrée à la logistique du retour, je m’offre une dernière immersion dans ce pays fascinant qu’est le Portugal. Une journée à Lisbonne, et l’envie de savourer chaque instant. La ville est un enchantement, à la fois culturelle, vibrante et festive—l’affluence en témoigne.
Je commence par un petit-déjeuner dans une pastelaria locale : un pastel de nata croustillant accompagné d’un café serré. Puis, direction l’Alfama, le plus ancien quartier de la ville, où les ruelles pittoresques se parent d’azulejos éclatants. Une halte s’impose au Miradouro de Santa Luzia, offrant une vue imprenable sur la ville et le Tage scintillant.
Je poursuis l’ascension jusqu’au château São Jorge, qui domine Lisbonne et déploie un panorama à couper le souffle. Entre découvertes et flâneries, je profite des terrasses baignées de soleil, savourant l’atmosphère unique de la capitale portugaise.
La journée s’achève en beauté sur les berges du Tage, face à un coucher de soleil flamboyant. Une dernière image de Lisbonne gravée dans ma mémoire, avant de refermer ce chapitre du voyage.
Message de Laurent, un ami qui a suivi mon aventure
Te voici arrivé, Feel, au terme de cette odyssée ibérico-lusitanienne. De l’estuaire de la Bidasoa à celui du Tage, à l’image de ces deux fleuves, tu as croisé mille paysages, traversé des villages où le vent portait les histoires, échangé des sourires et des questions avec ceux qui peuplaient ces terres d’or et d’argile. Chaque coup de pédale t’a rapproché des réponses que tu cherchais, chaque horizon scruté a éclairé ta route. Et maintenant, guidé par la Bonne lumière…Luz Boa…Lisboa, Lisbonne, la belle, la radieuse, celle qui s’amuse et qui danse sous le ciel atlantique.
Tu es parti d’Irun, là où la Bidasoa embrasse l’Atlantique. Glissant sur les routes où le vent porte les chants basques. Puis l’Espagne t’a pris dans son élan de poussière et de flamenco. Une poussière qui parfois s’est transformée en boue, t’accompagnant sur les pas de Cervantes, maître des mots et des errances, jusqu’au palais de l’Alhambra, là où l’histoire murmure entre les colonnes de pierre et d’arabesques.
Tu as vu le rouge brûlant de Rio Tinto.
Le murmure des rivières où dormait le temps.
Traversé Guadalcanal, aux terres fières de l’Espagne qui s’étirent en soupirs ardents. Avant de franchir la frontière où le Portugal t’attendait et de plonger vers Tavira, aux reflets de lagune, avec ses pêcheurs qui offrent des histoires tissées d’embruns.
Ici, l’âme de l’Algarve se fond sous la lune.
À Olhão, sa Praia da Falésia ta déroulé ses falaises ocre et rouges.
Un rendez-vous imparfait à Albufeira 😉.
Puis est venu Val d’Obispo, dernier souffle avant l’infini. Le bout du bout. Le Cap Saint-Vincent, où la lumière du phare de l’Europe s’effaçe dans le bleu des abysses.
Une remontée vers l’estuaire du Sado, guidée par les plages infinies de la péninsule de Troia, jusqu’à Setúbal, là , blottie au pied de l’Arrábida.
Au-delà des cols escarpés de la Serra da Arrábida, une ultime traversée t’a conduit vers ton but.
Ne disaient-ils pas, au siècle dernier, soufflé dans les ruelles de la belle :
“Pendant que Porto travaille, Lisbonne s’amuse” ?
Lisbonne aux mille couleurs, aux collines sculptées par les pas de l’histoire,
Lisbonne qui vie, qui vibre, qui brûle, d’un éclat bohème et doré.
Ici, Pessoa hante encore les cafés,
Ombre poétique aux vers égarés.
Là-bas, du monastère des Hiéronymites,
Camões et Vasco de Gama, gisants devant l’éternité, veillent sur ceux que l’océan a portés au delà de Belém.
Alors sous le grondement feutré de l’Eléctrico 28, ton périple de 28 jours s’affiche comme un poème sur les rails du temps.
Temps modernes obligent, le LX Factory t’accueille. Ce repaire d’artistes et de tatoueurs où l’encre grave les récits.
Alors pourquoi pas ? 😉
D’Irun à Lisbonne, le voyage a été ton message. Et chaque kilomètres ont été une page de ton roman.
Alors lève ton impérial de Sagres, laisse résonner la saudade.
Lisbonne et son roi te prennent dans leurs bras ouverts,
Et sous son ciel bleu, ton histoire continue de s’écrire . 👏🏻
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